En Mai dernier, je prenais la décision de participer à un « grand salon » sur Pâaaris, onéreux et très « fachione » afin d’y vendre mes motifs et illustrations destinés à l’industrie textile.
Cette inscription m’a pris du temps de réflexion : grand risque financier, exposition à un tout autre public issu du « monde de la mode » que j’avais quitté depuis des années.
Mais c’était l’objectif idéal !
La pression m’amena à être très créative et encore plus subversive que de coutume.
» Quitte à casquer, autant faire ce que je veux ! »
Je me lançais donc dans des imprimés mêlant faune marine et sacs plastiques, forêt Amazonienne et bulldozer, Clitoris et utérus géant etc… la routine quoi !
J’imaginais bouleverser les codes, trouver des partenaires travaillant avec des fibres et teintures naturelles et locales afin de compléter mon travail accompli jusqu’alors.
Casser la gueule à la Fast Fashion, attention Paname, accroche toi à ton slip ! Me voilà !
Après des semaines de travail acharné, camion chargé, je pris la route, la boule au ventre pour rejoindre le fameux Parc des Expositions où se déroulerait le salon tant attendu.
Arrivée sur les lieux, tshirt débraillé, en sueur et baskets crottées du festival où je me trouvais la veille où se produisait un groupe d’ailleurs du nom d’ UltraMoule , je commence mon installation.
Ambiance fleufleurs et collet monté, clim à fond de balle, ça sent bon le désodorisant fleur de lavande des mers du Sud.
J’ai le pressentiment que j’ai fait une connerie … Je ne sais pas si je suis la plus talentueuse du salon, ce qui est sûr c’est je suis la plus souriante.
Jour 1 :
Il n’est pas encore midi que j’ai déjà renversé mon café à 5€60 sur mes imprimés et fais une tâche de fromage sur mon fut.
En même temps, j’étais en train de manger discrètement sous ma table, (oui parce qu’apparemment ici personne ne mange, il est 15h et je n’ai vu personne mâcher) quand une hôtesse/mannequin m’a surprise en flagrant délit et proposé une boîte remplie de petites douceurs aux couleurs modes de la saison Automne/Hiver 2023 offerte par le salon.
Je fais fi de cet incident et reste fière devant mes imprimés dénonçant les aberrations et horreurs écologiques ainsi que mes illustrations féministes.
Les premiers visiteurs arrivent et déambulent sur les km² de moquette jetable installés pour 3 jours, sirotant leur smoothie Green fucking dans des gobelets en plastique eux aussi à usage unique au logo Planet friendly.
Ces derniers passent médusés devant mon travail, d’autres ne me regardent même pas et ignorent mes chaleureux « bonjour! »
« OOOH les petites tortues ! c’est migniio..c’est dommage tous les sacs plastiques là… »
« Oui Madame c’est dommage … »
« OOOh quel travail ! Elle est magnifique cette jungle ! mais je préfère sans les petits bulldozers là … »
« Ouais ben moi aussi en fait ! »
La clim souffle à fond, il fait 30° dehors, j’éternue.
La journée va être longue.
Jour 2 :
A défaut d’attirer les clients, je me mets à réfléchir au sens de la vie, j’me sens perdue et apparemment il n’y a pas que moi.
Je réalise que, ce soit sur les marchés artisanaux ou ce salon, j’attire aussi les gens qui ne comprennent rien ou sont perdus.
Une jeune femme accourt vers moi :
– » Mais on est où ici en fait ? » ( je n’invente rien )
– « c’est beau ce que vous faîtes ! c’est pourquoi faire ? »
– » Aaah je savais pas qu’on pouvait imprimer des choses destinés sur du tissu aussi sur du papier !
– » c’est où les toilettes ? «
Moi j’suis nouvelle, je m’adapte comme je peux et me dis que je dois avoir une tête sympa même si ça m’agace un p’tit peu.
Celle que ça agace aussi c’est l’hôtesse/mannequin qui me sourit mais je sens bien qu’elle me reproche de lui voler son taf.
J’attire aussi les étudiants qui ont des questions et qui voudraient bien « faire pareil » et des gens qui me laissent des cartes de visite pour me vendre et proposer des services, m’accaparent avec leurs tirades jusqu’à ce que je me rappelle que c’est moi qui suis là pour vendre.
Sous la clim qui fait office de blizzard, j’ai attrapé un sacré rhume, ce qui me fait faire des a/r aux chiottes pour me moucher tranquille dans du PQ à l’abri des regards.
Je rentre à l’hôtel avec vue sur le parking de Lidl en Uber parce que c’est la grêve des trains, je mange une conserve froide avec mes doigts parce que j’ai pas d’couverts et je m’endors en pleurant.
*petite musique triste*
Jour 3 :
J’ai vraiment la crève mais je ne me laisse pas abattre !
Le PQ est direct posé sur mon stand et je me mouche bruyamment, rien à foutre.
Contiens mon envie de crier à tous ces culs serrés qu’il faudra pas venir pleurer pour faire une collab quand je serai célèbre !
La meuf d’en face vient de sortir sa doudoune, dehors c’est la canicule, il fait 12 degrés à l’intérieur, plus rien n’a de sens, je pouffe de rire et de désespoir.
La veille, j’ai écrit à ma pote Manue, qui m’a promis de prier et brûler un cierge pour moi afin que je vende un dessin avant midi.
Il est 11h59, (true story) une femme se pointe et achète 5 dessins en 10 minutes.
Elle est Américaine et me demande si mes fichiers sont compatibles avec » aillesutralior » avec un accent tel que je comprend Australia et lui répond
» Waouh very nice! I was an aupair in Malbourne when I was young «
Regard gêné.
Elle voulait dire Illustrator.
J’éternue de plus belle et j’ai la tête de quelqu’un qui sort de la piscine.
On négocie mes prix, hé ho c’est pas l’marché ici ! et moi je dis non ! ( car « il y a ceux qui disent oui et ceux qui disent non et ceux qui disent oui ont désertés le front, moi je dis nooon ouyeahhhh hannn »)
Si vous avez compris cette blague des années 2000 merci de me rassurer afin que je me sente moins seule.
Bref, j’ai également eu mes premiers clients japonais.
Au vu de ma première expérience avec l’international, je m’abstiens de baragouiner le peu de japonais qui me reste et de leur dire que j’adore les Okonomyaki.
L’enfer, le salon se termine et on nous distribue des pack d’eau humblement appelée « Eau Neuve » sur une étiquette kraft collé sur du plastique.
Ils en ont acheté trop pour le salon et sinon ça finira à la benne.
Je remballe mon stand, charge le camion et roule les larmes aux yeux ( oui encore, je pleure beaucoup, ça m’détend ) vers mon nouveau chez moi et avenir auprès de l’homme que j’aime, dans la Drôme.
Et sur la route, j’ai pensé… beaucoup…
Avant ce salon, je n’avais rien entrepris de professionnel depuis un an et demi, depuis le fameux marché de Noêl de Chambéry en Décmbre 2020 qui fut un succès dingue !
Complétement surréaliste, les gens faisaient la queue et se bousculaient parfois pour obtenir le tshirt de leur choix, des inconnus venaient me féliciter de mes écrits, notamment sur l’apologie des pigeons.
Dévalisée, j’ai même dû fermer le site internet, débordant de colis je passais prioritaire à la poste et mon amie Manue ( encore elle ) est venue m’aider.
D’ailleurs, quand je l’entends raconter cet épisode cela sonne un peu comme un écho :
» Et Aurélia imprimait, imprimait et moi j’vendais, j’vendais… ais…. ais «
Elle a dû même vendre mon propre pull, taché de surcroît à une cliente qui ne voulait pas partir sans ce modèle.
Jamais de ma vie, je n’ai cru qu’on pouvait si bien gagner sa vie de manière honnête, grâce à soi-même.
Des années d’acharnements, de joie et de pleurs ( again&again ) récompensaient enfin mon travail.
Ca y est !
Ca m’a fait peur et j’ai tout arrêté et déménagé, persuadée que je devais faire autre chose.
Je ne vais pas tirer la morale de cette histoire tant elle est évidente et aussi parce qu’encore une fois mon texte est trop long.
Je me démène à nouveau pour moi même, surtout pour ceux que j’aime et qui me supportent dans tous les sens du terme.
Cette expérience et aventure qui m’a donc coûté 3000 balles ( en fait plus 4000 ) m’a donné confiance en moi et m’a suffisamment frustrée pour avoir envie d’en découdre !
Je ne maudis plus cette pause professionnelle qui m’a permis de m’épanouir, de m’enrichir et d’affirmer que » Oui je suis heureuse » finalement je n’ai attendu que 36 ans 

Tenez-vous donc prêts !
On se revoit donc sur les marchés et sur le site internet qui a ré-ouvert hier pour plein de nouvelles histoires et illustrations poético-militantes.
Oui, à la base ce texte devait durer 5 lignes pour annoncer la réouverture et c’est parti en 3615 my life et encore je pourrais faire un Tome 2 de cet évènement.
Je vous embrasse, croyez en vous, personne le f’ra à votre place et vous le méritez.
Bisous !
fuckin’fashionement vôtre,
Aurélia